Les Actes Futur en Seine 2009 : le futur numérique de la ville viennent de sortir. Il s'agit d'un recueil d'écrits d'intervenants de Futur en Seine 2009, dirigé par Ewen Chardronnet et préfacé par Henri Verdier pour Cap Digital. Avec des contributions de Yochai Benkler, Saskia Sassen, Bruno Latour, Tommaso Venturini, Carlo Ratti, Kristian Kloeckl, John Urry, Konrad Becker, Jose Perez de Lama, Daniel Kaplan, Stephen Graham, Maurice Benayoun, Jean-Marc Manach, Maxence Layet, Eric Mahe, Boris Beaude, Christophe Aguiton, Dominique Cardon, Zbigniew Smoreda.
The Futur en Seine 2009 Proceedings : the digital future of the city are just published. It is a collection of text of speakers of the festival Futur en Seine 2009, edited by Ewen Chardronnet with an introduction by Henri Verdier for Cap Digital. With contributions of Yochai Benkler, Saskia Sassen, Bruno Latour, Tommaso Venturini, Carlo Ratti, Kristian Kloeckl, John Urry, Konrad Becker, Jose Perez de Lama, Daniel Kaplan, Stephen Graham, Maurice Benayoun, Jean-Marc Manach, Maxence Layet, Eric Mahe, Boris Beaude, Christophe Aguiton, Dominique Cardon, Zbigniew Smoreda.
Le livre est en vente ici.
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Il est disponible en deux langues, français et anglais.
Quelques extraits :
Yochai Benkler, "Sirènes et balises : sociabilité articulée et matérialité réactive à la frontière entre le marché et la société" :
"La grande question socioculturelle de notre époque reste la délimitation de la frontière entre les marchés et les relations humaines, entre un échange mercantile et l’humain. La ville a été toujours été au cœur d’une intersection difficile – depuis l’Agora avec l’échange et la citoyenneté jusqu’à Wall Street et Greenwich Village, devenus assez abstraits pour s’affranchir des liens de la société traditionnelle, assez dense pour créer de nombreuses et diverses nouvelles interactions et combinaisons, dans le marché et en contradiction avec lui. Pendant la décennie écoulée la moitié de l’économie et de la société de l’information en réseau émergente a créé de nouvelles formes de production sociale qui ont remis en question cette frontière au sein même des économies les plus riches. Cette période a déplacé encore plus de ce qui avant faisait clairement partie du marché, vers ce qui fait partie du social et de l’humain. Du logiciel libre et de Wikipedia, à la culture du remix et au journalisme citoyen, nous avons vu une pratique sociale se développer avec une inclinaison vers les modèles industriels du vingtième siècle de production de marché, et dans beaucoup de cas être en compétition frontale comme entre Wikipedia ou Linux avec Encarta ou Windows, et en opposition comme le partage de fichiers de musique peer-to-peer et la glorification du « piratage ». La décennie qui arrive semble nous réserver une bataille continue pour « domestiquer » ou intégrer au marché des pratiques de production sociale, avec en même temps une intégration généralisée des technologies de l’information et de la communication dans le flux journalier de pratiques sociales et mercantiles.
Parmi les projets présentés à Futur en Seine, plusieurs utilisent et mettent en avant la centralité continue de la production sociale distribuée. Frida V et la Montre Verte sont des variantes d’un thème – prendre un objet qui est utilisé par les individus dans leur vie de tous les jours – Frida V utilise une bicyclette, la Montre Verte un appareil portable comme une montre – qui capture des données d’environnement pendant que son propriétaire se déplace à travers le paysage urbain, et utilise ce système de collecte d’informations pour établir un constat – en démontrant la présence et la concentration de substances dangereuses pour l’environnement, comme le monoxyde de carbone, ou des niveaux de bruit. Ce sont des exemples de citoyenneté mobilisée pour des actions en faveur de l’environnement qui prennent la forme d’actions simples à mettre en œuvre, une fois que l’on a choisi d’y participer. Les résultats consistent en une activité de production de connaissances décentralisée ayant pour objectif une intervention politique."
Bruno Latour et Tommaso Venturini, "Le tissu social : traces numériques et méthodes quali/quantitatives" :
"Les technologies numériques sont supposées être en train de révolutionner les sciences sociales, comme elles ont antérieurement révolutionné les sciences naturelles. Or cela n’est pas le cas. La situation des sciences sociales ressemble plutôt à celle des sciences naturelles au XVème siècle, suite à l’introduction de la presse typographique. Comme le décrit Elizabeth Eisenstein (1979), la presse a été l’une des causes principales de la révolution scientifique, mais non pas une cause immédiate. Plusieurs dizaines d’années après l’invention de Gutenberg, les naturalistes imprimaient encore les mêmes erreurs que celles qu’ils avaient copiées à la main.
Les sciences sociales sont aujourd’hui dans une situation comparable. Au lieu de se renouveler par le numérique, elles s’efforcent encore d’appliquer les anciennes méthodes aux nouvelles données. Cyberculture, communautés virtuelles, identités en ligne, computer-mediated communication, toutes ces notions ont été développées pour mettre en quarantaine la nouveauté des médias électroniques. Cette inertie, pourtant, devient chaque jour plus intenable face à la vitesse à laquelle le numérique infiltre la modernité. Grâce à leur diffusion capillaire, les médias numériques offrent beaucoup plus qu’une application pour les méthodes existantes : ils offrent une chance de refonder l’étude des phénomènes sociaux."
Konrad Becker, "Fantômes de la ville" :
"Richard Florida, télévangéliste d’une brillante Industrie Créative, offre une certaine vision de ce développement économique nouveau. Il est devenu célèbre grâce à son classement des villes selon leur créativité, ainsi qu’à ses indices de pourcentages d'homosexuels et de « bohèmes » qui indiqueraient les lieux les plus tolérants et les plus animés. Florida affirme qu’il existe une réelle corrélation avec la croissance économique car cela permet d'attirer les membres de la classe créative. Tout cela a été résumé dans la formule « technologie, talent, et tolérance ». Les décideurs bien-intentionnés de centre-gauche et de centre-droit sont fascinés par les mots-clés des industries créatives. Certains maires socio-démocrates ne peuvent même plus s’en passer. Ils offrent des solutions simples pour déplacer la focale économique vers la création dématérialisée de valeur. Ils tirent leur origine de l'observation du phénomène de la bulle internet, époque dorée des adeptes extatiques des nouvelles formes du capitalisme et des prolétaires cognitifs trompant leur ennui dans la confusion entre travail et divertissement. Malgré des données suspectes, des ligues de politiciens et de journalistes protestent à grands cris contre la « classe créative » bien qu’ils aient une idée complètement biaisée de ce qu’elle est réellement. Il est sans aucun doute charmant de supposer que des facteurs marginaux comme une scène artistique idiosyncratique puissent constituer un fondement de pouvoir économique. Toutefois, la croyance que cela pouvait être créé artificiellement par la classe politique s'est révélée être une illusion. Malgré une rhétorique créative de longue date il n'y a pas 1 % de tolérance supplémentaire pour les styles de vie alternatifs ou pour les talents défendant la dé-économisation de la vie (par ex. vie moins chère, décroissance, etc.). Richard Florida, avec ses 3 T de la Classe Créative et ses Bobostan d' « arty Peak-Oil yuppies » aux talents plutôt médiocres mais dotés d’un goût prononcé pour la technologie comme style de vie, confond ignorance avec tolérance."
Jose Perez de Lama, "Wikiplaza et autres hétérotopies FLOS" :
"Le second cas à l’étude est un de nos projets, WikiPlaza que nous avons présenté en 2009 au festival Futur en Seine à Paris. WikiPlaza peut être décrit comme un espace public amélioré par des réseaux de communication et d’information. Son objectif est la production participative et sociale d’espace public, au moyen de technologies numériques. Comme Henry Lefebvre l’a affirmé, l’espace est compris non seulement comme un produit social, mais aussi comme une production sociale en cours sans interruption. L’approche de l’architecture FLOS tend à rendre cette dimension amplifiée d’espace contemporain transparente, démocratique et facile à s’approprier par le public, en s’appuyant sur des machines, des images et des flux électroniques. Même si c’était au départ la proposition gagnante d’un concours pour la reconstruction d’un grand espace public en Espagne1, WikiPlaza, dans son état de développement actuel, est composé de dispositifs et de stratégies de gestion de l’espace qui peuvent être déployés dans quelque espace public préexistant que ce soit.
L’idée originale du projet était de rassembler et d’associer des savoirs technologiques et des expériences développées dans le domaine des arts, de l’architecture et des mouvements sociaux durant la période de la fin des années 1990 et le début des années 2000 [logiciel et matériel libre, réseaux ouverts, hacklabs et hackmeetings, pratiques médias indépendantes, réseaux sociaux numériques, streaming vidéo, expérimentation audiovisuelle ...] pour configurer un espace public actif, un espace qui se veut hybride entre le physique, le social et le numérique. L’utilisation du préfixe « wiki », comme dans la bien connue Wikipedia, présente l’image de la construction d’un lieu continuellement modifiable par la communauté de ses résidents, une communauté qui s’organise elle-même horizontalement. Nous imaginons cette communauté comme un mélange entre l’assemblée d’un centre social et la gestion collective d’un centre indymedia2.
WikiPlaza, comme beaucoup de projets d’hackitectura.net, part de l’idée de comprendre les territoires contemporains comme résultat de l’interaction-hybridation de l’espace physique, ses habitants et une série de superpositions technologiques. Parmi ces superpositions technologiques, une des plus extraordinaires est celle faite des flux et réseaux électroniques. De cette manière, on conçoit l’architecture contemporaine composée non seulement des matériaux physiques qui configurent les espaces géométriques et esthétiques et les environnements thermodynamiques, mais aussi de connexions, interfaces, images et flux électroniques, et des dispositifs qui rendent tout cela possible (logiciel, matériel informatique, matériel de réseau - software, hardware, netware). Comme nous l’avons fait pour WikiPlaza, nous considérons que la perspective de décrire l’architecture ou l’espace urbain comme un assemblage ou un agencement d’espaces, de corps et de machines devient une manière plus efficace de déclencher de nouveaux événements dans le réel. Nous utilisons également l’expression de territoire cyborg pour décrire ces nouvelles conditions spatiales [Haraway, 1991; Mitchell, 2003; Pérez de Lama, 2006].
Intégrer l'esprit FLOS dans ce type de conceptualisation de l’architecture signifie qu’il ne faut pas uniquement développer les éléments tectoniques pour qu’ils soient libres, mais aussi toutes les autres composantes hétérogènes qui par exemple, configurent le territoire WikiPlaza. Hackitectura.net conceptualise ces éléments divers comme matériel espace [spaceware - les composantes architecturales traditionnelles], matériel informatique [hardware], matériel logiciel [software], matériel réseau [netware] et matériel humain [humanware - qui sont les diagrammes sociaux ou organisationnels qui font que la machine WikiPlaza fonctionne en tant que telle].
À travers l’expérimentation de différents prototypes WikiPlaza temporaires (Futur en Seine, Paris et Figueras, 2009; Cáceres et Donostia, 2010) le projet a évolué vers une architecture modulaire, une matrice flexible de modules utilisables dans diverses associations. Les modules ont un caractère hétérogène, allant des prédominants tectoniques-architecturaux, en passant par les infrastructurels, pour arriver à ceux centrés sur l’activité. Nous travaillons au développement de ces modules selon le paradigme du logiciel libre. Les modules comprennent une plateforme Internet-Tv (aka Mille Plateaux), un Open Medialab, un espace Open Performance (infrastructure), des ateliers éducatifs (avec des enfants, sur les technologies et sur la santé mentale), une cartographie participative et un Fablab mobile et ouvert (mis en place à Donostia/ San Sébastian en 07.2010). Les modules sont développés dans une association de licences GPL et CC, et seront disponibles au public à travers des plateformes sur Internet. De cette manière, les communautés éducatives ou les centres culturels pourront les utiliser, lire leurs codes, les modifier et les redistribuer. L’objectif est que la matrice devienne un bien commun, qui peut s’agrandir par la contribution d’agents multiples, prenant des formes multiples, et générant de cette façon un réseau distribué d’espaces publics agissant comme des laboratoires biopolitiques, technologiques et coopératifs.
Cette théorie et ces pratiques s’éloignent par elles-mêmes de la compréhension conventionnelle et disciplinaire de l’architecture comme activité limitée à la production d’objets ou mêmes d’atmosphères. Notre pratique de l’architecture se comprend à la place comme la production de machines (dans le sens du terme proposé par Félix Guattari), quelque chose entre une boîte à outils, une interface et une infrastructure. Nous concevons WikiPlaza comme une machine qui compose et au même moment produit certaines relations sociales, certains processus de subjectivation; certaines autres relations entre humains, environnements physiques et techno-sphère (Guattari, 1995; Pérez de Lama, 2009).
Si nous étendons le raisonnement autour du projet WikiPlaza pour quelque autre infrastructure publique, une autre question peut se poser. Cette question est : qu’est-ce que pourrait être une infrastructure publique Creative Commons ? Je pense que c’est effectivement quelque chose que de nombreux mouvements sociaux expérimentaux explorent sous d’autres noms actuellement3."
Notes :
1En 2006, hackitectura.net en collaboration avec José Morales, Sara de Giles et Esther Pizarro étaient les gagnants du Concours international pour l’élaboration et la construction de la Plaza de las Libertades à Séville, un espace public de 30.000 mètres carrés comprenant un centre culturel, situé près de la gare Santa Justa, un des principaux points d’arrivée de la ville. Le concours était sponsorisé par la mairie de Séville. Cependant, en 2010 le projet n’a toujours pas été commissionné à l’équipe pour des raisons économiques et politiques.
2 Initié dans le contexte des manifestations contre l'OMC de 1999 à Seattle, Indymedia, la communauté basée sur Internet, est devenue une formidable machine mondiale en réseau et un des agents les plus pertinents d’organisation et d’information du cycle altermondialiste qui s’est développé dans les années qui ont suivi. Il doit être considéré comme un des projets les plus prometteurs de ce qui allait devenir le Web 2.0. Ses principes d’organisation passent par la culture hacker, les pratiques anarchistes et le fédéralisme et restent encore un modèle très performant de gestion d’organisation sociotechnique diverse, démocratique et basée sur le consensus.
3Une des premières fois où j’ai vu la proposition pour un espace licencié Creative Commons, c’était en 2008 à la CSOA La Fábrica de Sombreros, un espace social autonome à Séville en Espagne. En 2009 à la Conference Post-capitalist City à Pula en Croatie, hackitectura.net a participé à un débat sur le thème des villes Creative Commons. Depuis, Ana Mendez de Andés de l’Observatorio Metropolitano de Madrid, et un groupe de Pula, mené par Emil Jurcan, ont travaillé sur le développement du concept.
to be continued...