Histoire réelle ou rêvée de l'architecture des stations orbitales
Projet pédagogique avec le Lieu Multiple, Espace Mendès-France (Poitiers)
Partenariat festival Bandits-Mages (Bourges), festival Parallax (Prague, Aix-en-Provence)
Vol parabolique le 15 mars 2013 avec Novespace, le CNES et AirZéroG.fr à Bordeaux
Blog dédié : http://www.ewenchardronnet.com/zero-g/
Notice du projet (21/02/13) :
Ce projet vise à faire comprendre de manière pédagogique les principes fondateurs de l'architecture des stations orbitales. Se basant sur l'histoire des pionniers de l'architecture et de l'astronautique ayant progressivement conceptualisé l'objet architectonique dans un environnement hors gravité terrestre, le projet amènera les publics scolaires, jeunes et adultes à appréhender les différentes formes qui ont été envisagées, réalisées, ou restent au stade du rêve futuriste.
Le projet se déroulera en plusieurs phases :
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vol parabolique et test en impesanteur de maquettes architectoniques et formes géométriques élémentaires ; réalisation d'une vidéo en stétéroscopie HD3D témoignant de l'expérience ;
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communication du projet au travers d'un blog ; Ewen Chardronnet alimentera un blog tout au long de l'année sur ses recherches dans le domaine ainsi que sur son expérience du vol (textes, photos, vidéos) ;
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ateliers pédagogiques avec des publics jeunes et/ou scolaires, impliquant projections de films, histoire des stations orbitales et constructions de petits objets et mobiles ;
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exposition, conférence et soirée de projection de films à destination du public adulte, avec vidéos tournées lors du vol, archives historiques, films scientifiques et d'expériences similaires réalisées par des artistes, films de cinéma.
Le projet tracera l'histoire du rêve d'habitat orbital, des abstractions de Kazimir Malévitch et du mouvement suprématiste, des pionniers Konstantin Tsiolkovski, Hermann Potočnik et Wernher von Braun, jusqu'à la station MIR et la Station Spatiale Internationale en passant par le rêve du film de Stanley Kubrick, « 2001, l'Odyssée de l'Espace ». Par ailleurs, Ewen Chardronnet alimentera et structurera des échanges avec le nouveau Centre Culturel pour les Technologies Spatiales Européennes, le KSEVT (ksevt.eu), un nouveau lieu dédié à la culture spatiale ouvert en Slovénie en 2012 dans le village familial de Hermann Potočnik, pionnier de la conceptualisation des stations spatiales. Ces échanges auront pour objectif d'organiser une meilleure compréhension de l'histoire spatiale européenne et des influences qui ont nourri l'imaginaire spatial en Europe au cours du 20ème siècle, à « l'est » comme « à l'ouest ».
De l'architectonique hors gravité : pour une histoire artistique et technologique des stations spatiales
Du « cosmisme » au « suprématisme »
La victoire sur l'attraction terrestre, l'appropriation de l'espace par l'homme est un élément essentiel du « projet » du philosophe Nikolaï Fédorov dans sa Philosophie de la Cause commune, ouvrage publié de manière posthume en 1906 et 1913. La philosophie « cosmiste » développée par Fedorov va imprégner pour longtemps le monde intellectuel russe. Constantin Tsiolkovski, qui a publié déjà de nombreuses recherches en astronautique, y sera confronté. En 1914, au Congrès d'Aéronautique de Saint-Pétersbourg, Tsiolkovski expose ses modèles de dirigeables entièrement métalliques, sur lesquels il travaille depuis de nombreuses années. Ses derniers travaux, comme les écrits de Fédorov, sont ainsi à considérer comme de grande inspiration pour les futuristes de la « Victoire sur le Soleil », cet opéra transrationnel (l'assaut contre la logique – la victoire contre le soleil de la raison) et transmental (za-oum, au-delà de l'esprit) présenté au Luna-Park de Saint-Péterbourg en 1913 par Alexeï Kroutchenykh, Mikhaïl Matiouchine, Kasimir Malévitch et Vélimir Khlebnikov. Malévitcȟ va penser par exemple les temps où « les grandes villes et les ateliers des peintres contemporains s'appuieront sur d'énormes zeppelins ». Khlebnikov écrira dans la même période son article les Maisons et nous où il présente la ville du futur incarnant l'idée de la conquête urbaniste de l'espace : « Dans cette ville l'homme s'inscrit dans un autre monde de sensations spatiales, dans le monde où la rupture qui s'est formée entre la nature et l'homme a disparu. » Malévitch définira par la suite la « Victoire sur le Soleil » comme l'acte fondateur d'un mouvement qu'il nommera « suprématisme ». Avec la révolution de 1917, le commissaire à l'éducation Anatoli Lounatcharski nomme Marc Chagall comme commissaire des arts à l'école de Vitebsk et en 1919 ce dernier confie à Kazimir Malévitch la direction d'un atelier qui va prendre le nom d'Ounovis, un atelier suprématiste.
Dans le texte qu'il écrit pour présenter 34 dessins suprématistes à l'Ounovis, Malévitch peut laisser libre cours à ses conceptions d'habitat en orbite :
« L'appareil suprématiste - si on peut s'exprimer ainsi - sera d'un seul bloc, sans aucune jointure. La poutre en sera fondue à partir de tous les éléments, à l'image du globe terrestre qui porte en lui la vie des perfections, de sorte que chaque corps suprématiste construit s'insérera dans l'organisation naturelle conformément aux lois de la nature physique et formera par lui-même un nouveau satellite ; il suffit de trouver le rapport entre deux corps qui courent dans l'espace : la Terre et la Lune ; entre eux il peut être construit un nouveau satellite suprématiste équipé de tous les éléments, satellite qui se déplacera sur orbite en ayant tracé sa nouvelle route. Ayant analysé la forme suprématiste dans le mouvement, nous arrivons à la solution suivante : le mouvement selon la ligne droite qui mène vers n'importe quel planète ne peut être vaincu autrement que par un mouvement annulaire des satellites suprématistes intermédiaires qui forment la ligne droite des anneaux de satellite à satellite. Travaillant au suprématisme, j'ai découvert que ses formes n'ont rien de commun avec les techniques de la surface terrestre. Tous les organismes techniques ne sont également autre chose que de petits satellites, tout un monde vivant prêt à s'envoler dans l'espace et à y occuper une place particulière. C'est qu'en réalité chacun de ces satellites est équipé par la raison et prêt à vivre de sa vie personnelle. (...) Les formes suprématistes en tant qu'abstraction sont devenues une perfection utilitaire. Elle ne concerne déjà plus la terre, on peut les analyser et les étudier comme n'importe quel planète ou tout système. »
Cette vision apparemment prophétique des stations orbitales devait autant autant à l'exploration de « l'infini suprématiste cosmique » qu'à un désir d'expansion dans l'univers sidéral qui avait inspiré les travaux de Tsiolkovski sur les fusées et les vaisseaux spatiaux.
Ce point de vue inspire à l'Ounovis la construction de maquettes « architectones », des formes pures appelées à « faire descendre le Royaume de Dieu sur la Terre pour y trouver le repos ». Toute la pensée suprématiste est tournée vers l'espace comme lieu dispensateur des énergies dont il convient de s'emparer. Elle rêve des temps où la Terre et la Lune seront pour l'homme source d'énergie, de mouvement, c'est-à-dire du moment où il utilisera leur force rotative comme l'eau pour le moulin. Une autre série de projets de Malévitch pour l'Ounovis, comme la Maison spatiale du Pilote (Planit letčika), porte le nom de « Planite ». Sur un dessin, il précise que le planite, c'est-à-dire la maison spatiale, « est construit en dehors de tout but, mais le Terrien (zemljanit) peut l'utiliser pour ses propres buts ».
Noordung
En 1928, c'est finalement de Slovénie et d'Autriche qu'émerge le premier concept scientifique de station orbitale, le premier « appareil suprématiste ». Herman Potočnik Noordung (1892-1929) conçoit dans un livre - Das Problem der Befahrung des Weltraums (Le problème du vol spatial) - une station orbitale en forme de roue dont il a calculé l'orbite géostationnaire.
En 188 pages et 100 illustrations faites à la main, Potočnik a établi un plan pour une percée dans l'espace et la mise en place d'une présence humaine permanente en orbite. Il a conçu une station spatiale en détail et est le premier à calculer l'orbite géostationnaire, sur lequel naviguera la station en orbite autour de la Terre. Il y décrit l'utilisation d'engins spatiaux en orbite pour l'observation détaillée de la Terre à des fins pacifiques et militaires, et décrit la façon dont les conditions particulières de l'espace pourrait être utile pour des expériences scientifiques. Potočnik exprime de sérieux doutes sur l'utilisation militaire potentiellement destructrice militaire de ses découvertes.
Le livre a été traduit en russe en 1935, en slovène en 1986, en anglais en 1999 (par la NASA). Une traduction partielle en anglais, contenant la plupart des chapitres essentiels, a été faite dès 1929 pour le magazine américain Science Wonder Stories.
Avec ses nombreuses idées, il est devenu l'un des pionniers de l'astronautique. Ses concepts n'ont d'abord été pris au sérieux que par le mouvement amateur en Allemagne, la Verein für Raumschiffahrt (VfR - « Société Astronautique »), centrée autour de Hermann Oberth et ses collègues. Dans son édition russe, le livre peut aussi avoir influencé le cercle de Sergey Korolev. Plus localement, les ingénieurs viennois ont rejeté son travail comme fantasque.
« Space Station V »
Le livre de Potočnik décrit des satellites géostationnaires en forme de roue (d'abord imaginés par Konstantin Tsiolkovski) et la communication par radio avec le sol, mais reste en retrait par rapport à l'idée de les utiliser pour la diffusion média de masse et comme relais de télécommunications (développé par Arthur C. Clarke dans l'article Wireless World de 1945). La station spatiale en forme de roue a servi d'inspiration pour le développement ultérieur par Wernher von Braun (un autre membre de l'ancienne VfR) en 1952. Von Braun conçoit les stations spatiales en orbite comme des tremplins pour voyager vers d'autres planètes. En 1968, Stanley Kubrick reprend le concept de Potočnik et von Braun pour 2001: A Space Odyssey, avec la "Space Station V".
Cosmic Dancer
Dans la période contemporaine, et pour illustrer la démarche pédagogique, nous pouvons citer la sculpture Cosmic Dancer Sculpture, une oeuvre réalisée par le suisse américain Arthur Woods. Cette sculpture est une forme géométrique peinte réalisée en aluminium de 35 cm sur 35 sur 40 et pesant 1 kg (dimension d'après celle de la station MIR). La couleur du Cosmic Dancer est en contraste avec les couleurs intérieure de la station afin de bien le visualiser filmé et apporter un certain esthétisme pour l'équipage. Le projet initié en 1992 a couté 1 000 000 F suisse.
Cette sculpture fut spécialement réalisée pour voler dans la station Mir. L'objectif de l'artiste est de montrer la dimension culturelle que peut prendre l'espace quand celui-ci devient un habitat pour l'homme. Restée dans la station, elle fut détruite avec elle en mars 2002.