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Mécanosphère est un collectif musical et artistique modulaire et transnational basé au Portugal, qui rassemble instrumentistes, plasticiens, auteurs et acteurs. Mécanosphère joue avec un line-up rotatif et ouvert qui compte de quatre a sept musiciens (sur scène). Mécanosphère collabore fréquemment avec le saxophoniste américain Steve McKay (Iggy Pop & The Stooges) avec qui ils ont notamment enregistré leur dernier album en date “Limb Shop”, tout en participant au sien “ Michigan and Arcturus”. Le prochain album, “Membrane”, prévu pour 2008, est une collaboration avec le chanteur britannique Mark Stewart (The Maffia / On-U-Sound / Adrian Sherwood). Pour le Sputnik Day, la formation invitait Diogo Doria, acteur et metteur en scène portugais, membre de Mécanosphère et de sa filiale Teatro Stereo Mentale depuis 2006, oú il officie comme performer-locuteur (1) ; ainsi que Ewen Chardronnet, artiste pluridisciplinaire et auteur de “Quitter la Gravité” pour l'Association des Astronautes Autonomes (L'Eclat, 2001), ce qui l'a conduit, entre autres choses, à participer en 2003 à un vol parabolique en micro-gravité à la Cité des Etoiles en Russie.
Nous retranscrivons ici un extrait d'entretien dans lequel Benjamin Brejon, batteur et pilote du projet Mécanosphère et Ewen Chardronnet, artisan des images et des ondes, évoquent les textes qui ont conduit à l'écriture de la performance qu'ils ont donné pour les 50 ans du Sputnik. Une version éditée de cet interview a été publié dans la revue Espace(s) 4, publiée par l'Observatoire de l'Espace du Centre National d'Etudes Spatiales (CNES).
Ewen Chardronnet : peux-tu nous redonner le champ musical dans lequel Mécanosphère intervient ?
Benjamin Brejon : En tant que groupe de musique, sa principale incarnation, Mécanosphère transplante, recycle et permute des éléments et des techniques qui provienne du jazz libre, du dub spectral, du death metal, du chaos rock, de la musique concrète et acousmatique, de ruines de hip-hop et de bricolage rétro-électronique et radio-magnétique, dans une dynamique explicitement filmique, “debased” et fortement performative, héritée tant des piéces radiophoniques que de Sun Ra, de Slayer ou de Ligeti, sans oublier les spectres des Stooges, Lee Perry et Public Enemy.
EC : Oui, lorsque nous nous sommes rencontrés (2), tu avais exprimé ton intérêt pour le corpus de l'Association des Astronautes Autonomes entre 1995 et 2000 (3), mais aussi celui de la Société Nécronautique Internationale (4), sur l'exploration croisée des espaces extérieur et intérieur. Donc quand vous m'avez proposé de démarrer une collaboration avec vous au Portugal, j'ai suggéré de participer au cinquantenaire du Sputnik, derrière le Sputnik Day organisé par Iermelin (5), d'être un des événements simultanés de ce 6 octobre 2007. Ensuite est venu cette opportunité de présenter une performance à la Fondation Serralves de Porto (6). Nous nous sommes tout de suite dit qu'une importante narration devait guider le show, même si l'écriture se mélait à l'improvisation. Je travaille beaucoup à l'interception radio, communications de pilotes, navires, avions, mais aussi police, taxis, téléphones, et je voulais utiliser les archives sonores de cela de la même manière que nous voulions utiliser les archives sonores de la conquête spatiale. Mais cette narration structurante devait cependant laisser un espace à l'interception live. Sputnik étant le premier satellite, il nous paraissait donc évident de revenir sur le paysage satellitaire actuel, en installant une parabole sur le toit. En l'occurence il s'agissait d'un démodulateur numérique du service HotBord d'Eutelsat, qui autorise en Europe la réception du plus grand nombre de chaînes de télévision du monde. Nous avons donc utilisé en temps réel et sur multi-écran en fond de scène, ces sources aléatoires de télévision, et au final, cela aura été l'utilisation des grands panoramiques sur La Mecque que l'on trouve sur la chaîne d'Arabie Saoudite, d'une multiplication des hommes-troncs des journaux télévision, des soubresauts historiques de la révolte des moines birmans qui faisaient les gros titres des news à ce moment là, mais aussi d'évocation chaminique des indiens nord-américains ou des inuits. N'ont-ils pas clamer avoir voyager dans l'espace sans avoir besoin d'Apollo ? Le son de ces sources TV pouvait entrer dans la composition sonore, au même titre que l'improvisation musicale, créant ainsi un commentaire immersif du monde d'après le Sputnik et tel qu'il est à un l'instant T.
BB : Oui, et donc, lors du processus d'écriture, nous avons aussi choisi de faire une large place aux textes et à la voix, le plus souvent cut-ups, collages, spoken word et traductions simultanées (portugais-français-anglais) de sources diverses qui, bout-à-bout tracent les contours d’une sorte de science-fiction nébuleuse et distopique oú se croisent, par fragments, ellipses et recoupements : Association des Astronautes Autonomes, Khlebnikov, Ballard, Von Braun, Walt Disney, la littérature de Zombies, Novalis ou Schelling, Alexander Graham Bell et toutes sortes de “found” ou “invisible” litterature – Nasa, histoire militaire, manuels techniques, notices biographiques de figures obscures de l’histoire de la technique et de l’ésotérisme. Des textes et fragments que lisait Diogo Doria durant le spectacle.
EC : Oui, dans le spectacle, les pauses textuelles interviennent, pendant que je joue des sons radio que provoque une boule à plasma lorsque l'on passe les mains dans son champ électromagnétique. Dans une de ces pauses Diogo Doria lit le texte « La Radio du Futur » de Vélimir Klhebnikov. Je ne résiste pas à relire le passage “Radio-auditoriums” :
“La bouche de fer de l'autoparleur a transformé la houle de l'éclair, captée et à elle transmise, en conversation à haute voix, en chant et parole humaine.
Tout le village s'assemble pour écouter.
La bouche de la trompette de fer clame les nouvelles du jour, les informations gouvernementales, les renseignements sur le temps, les rumeurs de la vie orageuse des capitales.
On dirait que quelque géant épelle le géant livre du jour. Mais c'est un lecteur de fer, le gosier de fer de l'autoparleur ; net et concis, il transmet les nouvelles du matin, communiquées au village par le phare du quartier général de la Radio.
Mais qu'est-ce ? D'où vient cette vague de fond, cette inondation du pays par un chant supraterrestre, par le bruit d'ailes, les sifflements et le clapotis, par tout un torrent de merveilleuses clochettes délirantes, ruisselant sur nous de ces lieux où nous ne sommes point avec l'accompagnement de chants d'enfant et de bruit d'ailes ?
Sur la place de chaque village ruissèlent ces voix, cette averse argentine. Les merveilleux grelots d'argent et les sifflements coulent à flots de l'au-delà. S'agit-il de sons célestes, d'esprits survolant la chaumine à basse altitude ? Non...
Le Moussogorsky du futur, aidé par le matériel de la Radio, donne son grand concert national dans le vaste local qui va de Vladivostok à la Baltique entre les murailles bleues du ciel... Sortilégeant les hommes ce soir, les faisant communier avec son âme – et simple mortel demain ! Lui, l'artiste a ensorcelé son pays ; il lui a fait don du chant de la mer et du sifflement du vent ! Chaque hameau et chaque hutte seront visités par les sifflements divins et par tous les doux plaisirs des sons.” (7)
Dans le moment théâtral suivant, Diogo lit la Planète Laboratoire (8) et évoque la rencontre entre Walter Elias Disney et Wernher Von Braun, l'ingénieur nazi en chef du programme des missiles ballistiques et fusées V2 à Peenemunde qui fut exfiltré vers les USA en 1945 pour devenir l'artisan du programme spatial américain. En effet, dans les années cinquante, le programme de missiles de l'armée cherchait à vendre l'idée du voyage spatial au public Américain et assurer un financement adéquat au programme spatial. Disney, un sympathisant précoce du mouvement Nazi Américain et une figure clé de la chasse aux sorcières du maccarthysme hollywoodien, rejoignit alors Von Braun pour vendre aux audiences terrestres l'idée de l'espace. En leur communiquant des visions de l'espace en des termes simples mais avec l'autorité de la science, les audiences pouvaient se laisser aller à l'illusion. Une approche orientée vers l'enfance et la famille permettait de véhiculer ce message simple. Von Braun travailla donc avec les programmes de Disney TV à propos de « L'homme sur la Lune », « L'homme sur Mars » et « Mars et au-delà ». La création de Disneyland parallèlement en 1955 est d'ailleurs à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire des exploits de l'imagination humaine, par l'instauration d'un environnement où les personnes aiment être manipulées, où les sujets se soumettent volontairement au confinement dans une illusion artificielle de pouvoir et d'autonomie. Où l'espace intérieur est conquit en réalité.
BB : Il y a d'ailleurs un passage excellent de Ballard sur le sujet :
« L’un des événements les plus surprenants – même si il est quasiment passé inaperçu – de la période d’après la seconde guerre mondiale a été la vie et la mort de l’ère spatiale.
Il y a presque vingt ans, au jour prés, le 4 octobre 1957, j’allumai la radio pour prendre les informations de la BBC et entendis pour la première fois le bip-bip signalétique de Spoutnik 1 qui tournait autour la Terre au-dessus de notre tête . Son urgent tocsin semblait nous avertir du commencement d’une ère nouvelle. Écrivain de science-fiction novice, j’écoutai cet annonciateur de l’ère spatiale avec des doutes sérieux – j’étais déjà convaincu, sans en avoir la moindre preuve, que l’avenir de la science fiction, et celui de la conscience populaire en général, d’ailleurs, ne résidait pas dans l’espace extérieur mais dans ce que j’avais baptiser l’espace intérieur. Dans un monde de plus en plus en instance d’être refaçonné par l’esprit.
Je m’attendais néanmoins à ce que l’impact de l’ère spatiale soit immédiat et universel – de la mode vestimentaire à l’esthétique industrielle, de l’architecture des aéroports et des grands magasins à l’agencement du mobilier chez les particuliers. J’escomptais que les retombées des programmes spatiaux américain et russe transforment tous les aspects de notre vie et produisent une société extravertie aussi impatiemment curieuse du monde extérieur que l’Europe de la renaissance.
En fait rien de tel ne se produisit. L’intérêt manifesté par le grand public pour les vols spatiaux des années 1960 fut rarement plus que tiède, et leur effets sur la vie quotidienne ont été pratiquement nuls. Combien d’entre nous pourraient nommer, hormis Armstrong lui-même, un seul des hommes qui ont marché sur la Lune, extraordinaire prouesse qui aurait dû laisser de profondes traces sur la psyché collective ?
Avec le recul, nous voyons que, loin de se prolonger à l’infini dans le futur, l’ère spatiale n’aura durée qu’une quinzaine d’année à peine : de Sputnik 1 et du premier vol de Gagarine en 1961 à la dernière mission Skylab en 1974 – le premier amerrissage, fait significatif, á ne pas être montré à la télévision. Après avoir levé négligemment les yeux au ciel, les gens lui ont tourné le dos et sont rentrés chez eux. Même les vols d’essai actuels de la navette Enterprise – qui porte malheureusement le nom du vaisseau spatial de Star Trek – ne semblent être guère que le sous-produit mollasson d’une fiction télévisuelle. Les programmes spatiaux sont progressivement devenus la dernière curiosité du XXº siècle, aussi splendides, mais aussi démodés que le clipper de thé et la locomotive à vapeur.
Depuis quinze ans, les plus puissants courants de notre existence coulent dans la direction totalement opposée, nous emportant de plus en plus profondément dans l’exploration de l’espace intérieur et non extérieur. Cette investigation de tous les itinéraires-Bis concevables de la sensation et de l’imagination s’est concrétisée sous une multitude d’aspects – dans le mysticisme et la méditation, dans les ateliers thérapeutiques et les religions marginales, dans l’emploi des drogues et des techniques de biofeedback – autant d’efforts pour projeter les domaine intérieur de la psyché sur le monde routinier de la réalité quotidienne et extériorisé les possibilités illimitées du rêve. Jusqu’içi toutefois, les techniques disponibles ont eu tendance à être extrêmement dangereuses ( les drogues comme le LSD et l’héroïne), physiquement inconfortables ( les contorsions du yoga classique ) ou mentalement épuisantes ( le parcours d’assaut psychologique de l’atelier thérapeutique urbain, avec ses confrontations et ses crises préprogrammées, son hyperventilation générale des émotions).
Entre temps des techniques bien plus sophistiqués ont commencé à apparaître, au premier chef des systèmes vidéo et des micro-ordinateur adaptés á l’usage domestique. Ensemble, ils vont aboutir á ce que je considère comme l’apothéose de tous les fantasmes de l’homme du XXº siècle – la transformation de la réalité en un studio de télévision dans lequel nous pourrons simultanément jouer les rõles du public, du producteur et de la vedette. (...) Le miroir sphérique forme la paroi de notre univers et nous enferme à jamais en son foyer.” (9)
J'aime ce passage parce qu'en tant qu’ « artistes » à mon avis nous ne pouvons pas nous intéresser directement à la chose scientifique ou technologique dans son sens positif. Il en va de même pour la chose « politique », que nous ne pouvons bien évidemment pas envisager non plus dans les acceptions de son déploiement « positif », performatif, normatif et rhétorique. Ce qui nous intéresse et donc motive et articule tout notre travail - dont les dimensions techniques et « de contenu », politique ou autre, s’explicitent et se redoublent mutuellement l’une l’autre - c’est bien la collusion entre le politique et le technologique (10) dans leur incidences actives et rétro-actives de chaque instant sur le psychisme. Soit : quel est le psychisme de la machine et quel est son incidence sur la machine psychique, et comment ce qui relève de l’extérieur, de l’espace extérieur, du général, du « réel » (dans le sens de la « réalité conventionnelle », et que l’on dit, dans le langage courant et saisi par le « sens commun », être « naturel ») et ce qui relève du mental, du « dedans », de la fiction, des autofictions, de la psychopathologie, d’hallucinations, du sommeil, du somnambulisme, du délire, du symptôme, du décalage etc. etc. etc., comment donc ces deux ordres, espace extérieur et espace intérieur, que l’on peut recrypter dans le dualisme moteur de la gestalt occidentale du « subjet / objet », « subjectif / objectif » (11), nous conduirait vers une gestalt « plus à même d’être en prise » avec cela même qu’il s’agit de percevoir : à savoir la réalité de la réalité, qui est, aujourd’hui, faite de prothèses généralisées.
EC : Donc est-ce de dire que la projection de la conquête spatiale, vers un espace humain extériorisé, une planète soeur, même désertique, n’est pas la finalité ? Comme dans Dune de Herbert, un désert que l’on aura “ terraformé”, en en modifiant l’atmosphère dans le sens d’y faire pousser des arbres, des lacs et toute une faune ancienne de grand cerfs et de poulets, mais plutôt l’inverse d’un... autre inverse encore ? Derrière la conquête spatiale, il ne s’agit en réalité pas de transformer un désert aride en biodiversité paysagère, faunesque et florale, bon pour nourrir les humains qui s’y établissent, mais de transformer notre biodiversité habitable et déjà fortement habitée (12) en un dispositif ou l’espace intérieur – le mental, la science, la psychopathologie, l’architecture planifiée, le génie civil et militaire – aura entièrement colonisé l’espace extérieur. Et cet espace intérieur extériorisé se fait à son tour escamoté par les prothèses – survenues, nées de visions et de délires convertibles en dynamique positive de savoir transmental, emballée et appliquée, « rendue publique » et effective : mais qui, á son tour, une fois le monde intégralement machinisé, cartographié, bétonné, transformé, c’est à dire fantasmé, zombifié, « pur processus d’influence automotrice » – extériorisation totale de la latence et du psychisme incarné fait que l’espace extérieur devient à nouveau (ou simultanément) l’espace intérieur. Dans un processus de redevenir qui est, littéralement, tour et retour de manivelle. Restent cependant la machinerie, l’auto-mobile, la computation, etc. une extériorité totale dont les humains sont les prothèses et le reste, la si bien nommée ressource humaine.
BB : Si l'on prend Marinetti, on peut le voir comme un symboliste fin-de-siècle qui envisage la machine future avec un bagage « décalé vers l’arrière » : inadéquat á la « nature de la nature » de cette même machine. Comme une langue, un langage, un art, qui parle d’un objet extérieur à partir d’une perception et d’un dispositif mental antérieur, n’arrivant donc jamais à le saisir, à parler SA langue, mais à le chanter et l’annoncer comme un vieil oracle, pour qui le futur est surtout la prophétie et une rente de situation, et certainement pas un souhait – qui, si le futur se réalisait signifierait la fin de son office ? Le futurisme, comme le surréalisme, et avant eux le premier romantisme, allemand surtout, sont des effets d’annonce qui explorent, comme ils le peuvent, le profond décalage et espacement qu’ils entretiennent avec leur objet. Le projet de conscience universelle réifiée, minéralisée, naturalisé dans son holisme totalitariste et cosmique mais fragmenté, accessible à chaque instant et á soi-même du romantisme allemand, le projet machinique de dépersonnalisation absolue et d’automation générale, dans l’hypostase d’un Demain, et les Surréalistes qui proposent la réalité du rêve contre le sommeil du « réel ».
EC : Notre problème n’est donc en fait pas du tout de postuler, à contrario, ou « en creux » un humanisme humano-centrique et à visage humain qui serait à retrouver contre la machine, qui serait une lutte des phobes contre les philes ? Personnellement je vois le travail artistique comme un travail de chasseur de fantômes, de cartographe mental, de spectrologue et de psychogéographe... d'astronaute autonome bien sûr...
BB : Oui, le travail artistique explore les latences des dispositifs de langage, de rhétorique et de technologie donnés á une époque donnée dans et par les termes – et tels que ces dispositifs sont eux mêmes criptés d’impensés ou de pensée sédimentée et accumulée – et il en explicite l’invisible, les béances, les fractures – pour ce faire il s’assimile á un travail obsessionnel de cartographie – mimétisme en cela de la structure mentale de l’époque : obsession du mathème et des Fins en tant que géométriques.
Pour en finir là pour le moment, je voudrais lire quelques passages où Samuel Butler se place dans un régime moral et picaresque, négatif, qui parle de l’instant présent et de la situation à partir d’un ressentir, ou dans les termes et la typologie mentale d’un avant qui se perd. Dans Le Livre des machines, il écrit vers la fin des années 1870 :
« Le fait que les machines ne possèdent actuellement que fort peu de conscience ne nous autorise nullement à croire que la conscience mécanique n’atteindra pas à la longue un développement dangereux pour notre espèce. (...) Mais qui peut affirmer que la machine à vapeur n’ a pas une espèce de conscience ? Où la conscience commence-t-elle ? Ou finit-elle ? Qui peut fixer la limite ? Qui peut fixer une seule limite ? Est-ce que les machines ne rattachent pas de mille manières à la vie animale ?La coquille d’un oeuf de poule est faite d’une matière blanche et délicate, et c’est une machine au même titre que le coquetier qui est fait pour la recevoir : l’une et l’autre sont deux modes d’une même fonction. (...)
Jusqu´à présent les machines reçoivent leur impressions à travers, par l’intermédiaire, des sens de l’homme. Une locomotive en marche lance un cri d’alarme aigu à une autre locomotive, et celle-ci lui fait place immédiatement, mais c’est à travers l’oreille du mécanicien que l’une fait appelle à l’autre et a fait de l’impression à l’autre. Sans le mécanicien, l’appelé aurait été sourd au cri de l’appelante. Il fut un temps où il aurait semblé bien improbable que les machines puissent apprendre a faire connaître leur besoins par des sons, même par l’intermédiaire des oreilles de l’homme. Ne pouvons-nous pas imaginer, d’après cela, qu’un jour viendra où elles n’auront plus besoin de cette oreille, et où elles entendront grâce à la délicatesse de leur propre organisation ? et où leur moyen d’expression se seront élevé, depuis le cri de l’animal, jusqu’à un langage compliqué comme celui de l’homme ? (...)
Nous ne pouvons pas compter sur un progrès, dans la puissance physique ou intellectuelle de l’homme, qui corresponde, et qui puisse s’opposer, au bien plus grand développement auquel semblent destinées les machines. Certains diront que l’homme pourra les dominer par sa seule influence morale ; mais je ne pense pas qu’il soit bien prudent de compter sur le sens moral des machines.
Et mêmes les machines ne pourront-elles pas mettre leur gloire á se passer de ce fabuleux don de la parole ? “le silence, a dit quelqu’un, est une vertu qui nous rend agréables à nos semblables” . (13)
(1)Diogo Doria a tourné dans une cinquantaine de films, notament avec João Botelho, Jõao Canijo, Raul Ruiz ,Wim Wenders ou João Cesar Monteiro, mais c’est surtout en tant qu’acteur fétiche de Manoel De Oliveira, avec qui il a fait dix films depuis 1981, ce qui fait de lui une figure emblématique du cinéma indépendant portugais et international.
(2)Au media-camp Emergent Geographies, organisé par le collectif d'architectes Hackitectura, près de la centrale électrique de Valdecaballeros en Extremadura Espagnole. http://mcs.hackitectura.net
(3)http://www.lyber-eclat.net/lyber/aaa/quitter_la_gravite.html
(4)http://www.necronauts.org/
(5)http://sputnik.irmielin.org
(6)http://www.serralves.pt/actividades/detalhes.php?id=1222
(7)“La Radio du Futur”, dans “Le Pieu du Futur”, Velimir Khlebnikov, l'Age d'Homme, 1970.
(8)http://www.laboratoryplanet.org
(9)“L’Avenir du Futur”, 1977, “Millénaire mode d’emploi”, H.G. Ballard, Tristram, 2006.
(10)La GE-STELL de Heidegger – terme intraduisible et imparfaitement rendu par la notion de « technique » qui relève du montage, du dispositif, du “ construit”, du “ disposé”, et tout autant de la manipulation, du truquage. En laissant de côté le pathos heideggerien de l’inauthentique qui accompagne ce concept.
(11) La ruse de langage la plus difficile á contrer et qui semble comme barrer encore un accès réel à l’espace commun.
(12)Voir à ce sujet les relations entre les hommes, les animaux, les plantes et les outils dans un « habitat » jusqu’au grandes guerres de matériel du XXª siècle, á l’invention du téléphone et á l’électricité.
(13) Le Livre des Machines,Samuel Butler, Gallimard, Paris, s.d. L'Imaginaire